Parfois j’aimerais être celui qui, dès Noël sait où il passera ses vacances d’été. Des congés inscrits dans le marbre et dont l’existence, pas plus que celle du soleil, ne peut être mise en doute. Parfois j’aimerais être ce retraité dont le plan de carrière rempli scrupuleusement et de manière millimétrée peut afficher une respectabilité presque hautaine. Tout cela monsieur c’est parce que je le vaut bien. Parce que je l’ai mérité par mon exemplarité citoyenne et mon travail. J’aimerais être celui qui sait qui sont les méchants et qui sont les gentils. Celui qui a tout rangé dans les bonnes cases. Qui ne peut pas se tromper, qui jamais ne doute. Qui adore les problèmes car chaque problème possède sa solution. Celui qui glorifie Science et technologie et en a fait ses dieux, celui qui croit en la bonté humaine et qui ne voit le mal nulle part. Oui, parfois j’aimerais être un croisiériste. Mais ça ne dure jamais bien longtemps.


Bien sûr tout ceci nous éloigne un peu de la Martinique. Quoique. Une Martinique où ne pensions pas passer autant de temps puisque le projet était d’aller se promener dans le sud du coté des Grenadines. Mais la météo, exécrable en a décidé autrement. Un régime de nord-est soutenu, accompagné d’un déluge quotidien faisant affront à la saison sèche dans laquelle nous venions d’entrer nous en a un peu dissuadés. En attendant la venue de nos filles en février, nous avons donc arpenté la côte sous le vent où l’on navigue d’une risée à l’autre et d’un grain à l’autre, une côte où l’anémomètre en quelques secondes fait le grand écart entre 5 et 25 nœuds. Une stratégie de déplacement qui n’est pas sans rappeler celle pratiquée en Méditerranée, sans, bien évidemment, ses légendaires coups de vent. Car ici, il y a rarement plus de 30 nœuds. En revanche le kilo de tomates dépasse souvent les 7 euros. Comment font les gens d’ici pour supporter un coût de la vie 40 % plus élevé que celui de la métropole qui lui-même devient asphyxiant ?
En fait, cette côte sous le vent n’est pas de notre point de vue époustouflante. Finalement, peu de mouillages vraiment abrités et ceux qui le sont ne laissent pas un souvenir impérissables tant ils sont surpeuplés. La Martinique c’est parfois un peu la côte d’Azur, les jolis poissons en plus car il faut le reconnaître, la vie sous-marine, contrairement à nos eaux méditerranéennes est très riche.


Sainte-Anne peut à certains moments rassembler plus de 400 bateaux. Fort-de-France n’est acceptable que pour les récupérations d’équipages et la visite de la ville ainsi que pour son carnaval si on aime ce genre d’événement. En revanche les navettes aux allers retours incessants entre 5 heures le matin et 10 heures le soir peuvent rendre la vie difficile.
Saint-Pierre, au pied de la redoutée Montagne pelée, dégage une curieuse impression. Comme si l’ombre de la catastrophe de 1902 planait toujours autour de sa reconstruction. Visiter les ruines de ce village ou le cachot de l’unique survivant de ce désastre ne suffisent pourtant pas à saisir l’ampleur de la furie qui a anéanti toute forme de vie sur ce territoire.
À noter, cependant, pour ne pas passer pour des grincheux blasés par le sable blanc et les cocotiers, trois coups de cœur : l’un pour l’anse noire (où justement le sable est noir) et l’autre pour l’anse Couleuvre (pas vu de couleuvre). Le troisième, revient à l’anse de Font Giromont pour son snorkeling trois étoiles (c’est Carole qui le dit).
Retrouvailles chaleureuses avec nos bateaux amis, Philippe sur Azulado, Bruno sur Resilience et rencontre improbable au Marin, bien qu’ils aient changé de voilier, avec un couple que nous avons connus il y a 20 ans à Formentera pendant notre voyage de 2003.
Bien que celles-ci soient rares, nous réussirons à obtenir une place pendant trois jours afin d’explorer un peu l’intérieur de l’île en ayant l’esprit tranquille (un catamaran nous a déjà dérapé dessus à l’anse Mitan).
C’est ainsi que nous gravirons les 700 m de dénivelé de la Montagne pelée qui ne l’est pas (pelée) puisque le sentier qui mène à son sommet est une véritable tranchée tracée dans une végétation inextricable. Et ça grimpe sec. Les touristes croisés à la descente et proches de l’agonie devraient se souvenir longtemps de cette sinistre montagne. Mes pieds également, eux qui n’avaient pas vu de chaussures depuis des semaines !
Nous ferons également le tour de la presqu’île de la Caravelle, une jolie balade qui passe par la côte au vent battue par les vagues mais aussi la mangrove.

Enfin, notre statut de voyageurs privilégiés n’occulte pas pour autant notre regard sur l’inquiétante actualité dispensée par les médias propagandistes et copieusement alimentée par notre Napoléon junior qui offre nos bombinettes à kinanveu, signe des traités avec le clown même pas drôle qui maltraite ses populations et déclare pratiquement la guerre au surpuissant pays de Tolstoï.
Doit-on rappeler que ce conflit n’est pas le nôtre ? Que l’OTAN, elle qui a généré tant de désolation, devait, à sa création, apporter la paix en Europe ? La guerre est méprisable et indigne de notre humanité. Chacun de nous devrait la dénoncer tout comme ce qu’il se passe à Gaza. La guerre n’est pas un jeu. On ne choisi pas son équipe. La guerre enrichie une minorité oligarchique et dévaste les corps et les esprits. LEURS GUERRES, NOS MORTS. Pourtant, aujourd’hui un opposant politique s’appelle un complotiste d’extrême droite. Avec la réintroduction de l’article 4 dans la loi sur les dérives sectaires ce sera bientôt dans les faits un prisonnier politique. Il serait temps que les gens sortent de la léthargie et comprennent, au-delà de sa psychopathologie cocaïnée, qui est ce type et pour qui il travaille.
C’était mon coup de gueule tropical. Le voyage en bateau n’exclut pas l’indignation. Nous allons quitter la Martinique, direction Marie Galante via la Dominique. La température de l’air est de 29 degrés, celle de la mer de 27 degrés.

La Martinique